Note sur la traduction française de « La Maison au bord du Monde » de W.H.Hodgson

Le roman majeur de Hodgson « La Maison au bord du Monde » a été traduit en français par Jacques Parsons au tout début des années 70 pour le compte des éditions Opta. Aucune autre traduction française n’existe, ni même une révision de la traduction de Parsons. C’est bien dommage, car un certain nombre d’inexactitudes, allant de la bourde flagrante à la simple approximation, gâtent le texte français sans parler de sa qualité littéraire, inégale. Avis aux éditeurs !

A titre d'illustration, je liste ci-après les problèmes de traduction que j’ai pu déceler dans le premier chapitre du roman. Je mentionne entre parenthèses le numéro de la page concernée dans l’édition Terre de brume. Je barre la traduction incriminée et la remplace par une nouvelle qui me semble plus juste ou plus adaptée ; j'y ajoute également un commentaire succinct.

I am an old man. I live here in this ancient house, surrounded by huge, unkempt gardens.
Je suis un homme vieux. Je vis ici dans cette maison antique, entourée d'énormes jardins abandonnés sans entretien. (p.31) Enorme s'applique plutôt à une quantité.

La traduction suivante me paraît plus fidèle au texte original : 
Je suis un vieil homme. Je vis ici dans cette maison ancienne, entourée d'immenses jardins à l'abandon.

Right away in the west of Ireland
Dans un coin reculé de l’Irlande (p.21) - Défaut de précision géographique.

A l’extrême ouest de l’Irlande

It was early one warm evening when my friend and I arrived in Kraighten
Nous sommes arrivés à Kraighten, mon ami et moi, au début d’une chaude matinée soirée. (p.21) -Bourde !

and opening his mouth, every second or two, to bellow my name
il ouvrait la bouche toutes les deux secondes pour prononcer hurler mon nom (p.28). Inexactitude ne rendant pas l'excitation ressentie par le personnage qui vient de découvrir le journal du vieil homme.

, and glanced at the woods behind furtively
jeta un regard furtif aux bois au-dessous de derrière nous. Inexactitude.

Presently, Tonnison began to talk.
Alors, Tonnison se mit à parler (p.30) - Cette phrase est tout simplement oubliée dans la traduction française, ce qui rend étrangement abrupte, à la lecture, la prise de parole du personnage.

he would have realized how needless such advice was, for once at least
il aurait compris à quel point cette recommandation était superflu, du moins pour le moment, au moins pour cette fois (p.30) - Plus clair.

D’autres exemples de mauvaise traduction, plus parlant encore, se retrouvent tout au long du texte.

Au commencement du deuxième chapitre, l’adjectif « étrange » est utilisé par Parsons à trois reprises faisant ainsi passer Hodgson pour un tâcheron littéraire dénué de vocabulaire et de sens de la nuance, ceci, indûment puisque le texte original anglais comprend trois mots différents, « strange », « weird » et « quaint », qui auraient, par exemple, pu être traduits, avec comme double avantage de gagner en précision et d'éviter la répétition, par « étrange », « bizarre » et « pittoresque ».

Une erreur de traduction majeure, selon moi, est commise page 41, où « desire » est rendu par « concupiscence » pour qualifier l’expression qu'a la créature porcine extra-terrestre aperçue par le narrateur lors de sa première vision (ou sortie) aux confins du cosmos lorsque cette Chose tente de saisir le vieil homme au-dessus d'elle (et non pas "devant elle", comme traduit ! ). La traduction de Parsons oriente la lecture, de manière injustifiée, vers le terrain glissant de la sexualité, alors que la traduction simple par « désir » a l’avantage de la neutralité. Faire de ces monstruosités semi-porcines les symboles freudiens d’un désir sexuel refoulé ne correspond, d’ailleurs, aucunement aux intentions de l’auteur, contrairement à ce que quelques commentateurs ont pu suggérer, en voyant dans la relation de l'assiégé avec sa soeur des dessous incestueux, à l'instar de Roderick et Madeline Usher dans la célèbre nouvelle d'Edgar Poe.
 
Parfois, également, le texte français rend le récit tout simplement incompréhensible.

Page 42, la traduction indique : "Même après sa disparition (le narrateur fait référence à un brouillard rouge évanescent), je restai enveloppé dans une obscurité impalpable, totale." Sans se référer à la version originale anglaise, on constate immédiatement l'illogisme de cette phrase. Une bonne traduction est : "Puis, alors que même ceci (la vague lueur rouge) avait fini par disparaître, je restai enveloppé dans une obscurité impalpable, totale."

Page 69, le reclus descend « du toit », alors que juste avant, il se trouvait dans une des tours de la demeure. Il faut évidemment lire « vers le toit ». Ailleurs, page 139, c’est le soleil qui monte alors que le texte anglais indique qu’il s’agit du vieil homme. 


En conclusion, il faudrait à défaut d’une nouvelle traduction du chef d’œuvre de Hodgson, expurger systématiquement la traduction de Parsons de ses scories.

Ce texte, véritable bijou de terreur surnaturelle, mérite bien cette attention !

Laurent Quiévy.



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