I - Le prospectus du livre :

" Ce petit livre sur Hodgson est indispensable à toute personne qui s'intéresse à la littérature fantastique. Hodgson en est un des géants ! " Alain Pelosato (SF magazine n°89)
 Le `Qui suis-je ? Hodgson`
 
II - Interview (intégrale) donnée en novembre 2014 à Catherine Gravil du journal Présent, suite à la parution de mon « Qui suis-je ? Hodgson » chez Pardès.
 
- Hodgson est-il un précurseur du fantastique ?
 
- Clairement, non. Le fantastique existait bien avant Hodgson. Les précurseurs du genre sont plutôt à rechercher du côté du « roman gothique », ou « roman noir », en vogue à la fin du 18ème siècle, ou bien encore chez Hoffmann et ses nombreux disciples au début du 19ème. On trouve, d’ailleurs, chez Hodgson, trace de la tradition gothique, notamment dans les décors de certains de ses récits (manoirs ancestraux, anciennes légendes, vieilles haines entre familles…)
Cela étant, même s’il s’inscrit dans une tradition commencée bien avant lui, Hodgson la modernise en injectant dans ses récits fantastiques une (pseudo-)rationalité de nature scientifique. Il cherche ainsi à rendre crédibles ses monstruosités à une époque marquée par le progrès des sciences.
Par leur nature même de créatures (pseudo-)scientifiques, elles ont une caractéristique essentielle : celle d’exister objectivement, extérieurement à l’homme, à ses fantasmes ou à ses préoccupations. La plupart du temps, les monstres de Hodgson ne proviennent, en effet, ni de troubles psychiques, comme chez Maupassant ou Henry James, ni de fautes ou péchés commis par l’homme, comme chez E.F. Benson ou Nathaniel Hawthorne. Les abominations de Hodgson sont issus des profondeurs inconnues de la mer ou des lointaines et froides étoiles, plus précisément d’une zone de l’Univers qu’il appelle « Le Cercle extérieur », ceinture entourant la Terre à des millions de miles de sa surface et dans laquelle évolueraient des entités extra-terrestres gigantesques composées d’éther organisé. Hodgson se montre alors un précurseur remarquable non du fantastique en général, mais d’un sous-genre du fantastique, l’« horreur cosmique », que Lovecraft développera par la suite avec une plus grande continuité. Enfin, avec son roman Le Pays de la nuit, Hodgson est aussi, incontestablement, un précurseur de ce qui deviendra, quelques années plus tard, « la science-fiction ».
 
- Vous évoquez le fantastique « scientifiquement rationalisé » de Hodgson, pouvez-vous nous en dire quelques mots et nous expliquer en quoi ce surnaturel diffère de celui qui s’en inspirera, je veux parler de Lovecraft ?
 
- J’ai forgé ce concept de « fantastique scientifiquement rationalisé », car il me paraissait coller particulièrement bien au fantastique hodgsonien, à cheval qu’il est entre le fantastique proprement dit et la science-fiction. Si on lit l’ensemble de l’œuvre fantastique de Hodgson, on ne peut manquer d’observer le besoin qu’il ressentait, la plupart du temps, d’expliquer les phénomènes ou entités surnaturels qu’il décrit, par le recours à la science officielle, consensuelle de son époque, ou à une pseudo-science de son invention. Cela prend parfois la forme de récits où une justification mécanique (un trucage orchestré par de simples escrocs) finit par faire fondre le surnaturel comme neige au soleil, des histoires comme il en existait beaucoup du temps du gothique à la Ann Radcliffe…Mais, de façon plus originale, ce fantastique scientifiquement rationalisé transforme des mystères immémoriaux, voire relevant du sacré, en phénomènes naturels d’essence (plus ou moins) scientifique. Ainsi, les anges de la religion chrétienne deviennent, sous la plume rationalisante de l’auteur, des formes lumineuses, des étincelles, voyageant à une vitesse astronomique entre un Soleil vert divin au centre de la Création et le reste du cosmos. Lovecraft transforma également (au terme de sa maturation artistique) ses créatures surnaturelles, mythologiques, en êtres extra-terrestres de science-fiction, plus acceptables scientifiquement parlant. Hodgson et Lovecraft se séparent, cependant, dans leur conception philosophique de l’univers, traditionnellement manichéenne, chez le premier, qui ne rejette donc pas la vision judéo-chrétienne du bien et du mal (même s’il n’a aucun penchant pour la religion) et amorale, chez le second, athée convaincu, pour qui le cosmos est aveugle, totalement indifférent à l’humanité, considérée comme le résultat transitoire et dénué de toute importance du perpétuel réarrangement d’atomes qui caractérise la marche de l’Univers. Hodgson est, en ce sens, beaucoup plus proche d’August Derleth, un « disciple » de Lovecraft, qui a écrit des histoires lovecraftiennes dans un univers chrétien.
 
- Le fantastique est-il forcément horrifique, est-il toujours générateur d’angoisse et de terreur, en un mot, la terreur est-elle le « nec plus ultra du genre » ?
 
- La peur et ses variantes (dégoût, angoisse, horreur, terreur…) sont, indiscutablement, très liées au genre fantastique, mais elles ne le définissent aucunement ! Il existe, en effet, des œuvres fantastiques non horrifiques, voire comiques ! , comme, par exemple, Le Fantôme de Canterville d’Oscar Wilde. D’autres œuvres ne visent qu’à faire rêver le lecteur, ou, comme celles de Jorge Luis Borges, à le faire réfléchir. Si l’on définit le fantastique, comme je le fais dans mon livre, par l’irruption du surnaturel (avéré ou non) dans le contexte de la vie réelle, alors on voit bien qu’il y a la place pour un fantastique qui ne cherche pas à effrayer, même si ce « courant » n’est pas dominant (peut-être parce que la réaction normale d’un individu soudainement confronté à un monstre de trente mètres de haut n’est pas de s’esclaffer ou de s’émerveiller - encore moins de méditer ! - mais de prendre ses jambes à son cou (s’il ne s’est pas carrément évanoui !!))
La terreur est l’émotion la plus cérébrale du « fantastique horrifique », à l’opposé de l’émotion, plus physique et basique, de l’horreur gore. C’est la raison pour laquelle, certains auteurs considèrent la terreur comme « le nec plus ultra » du genre, pour reprendre votre expression. Pour simplifier, ils préfèrent faire frémir l’intellect par l’évocation d’une idée terrifiante que retourner l’estomac en mettant en scène de la violence et de l’horreur graphiques. Je pense qu’ils ont raison, mais la réussite d’une œuvre ne se juge pas sur l’ambition de l’artiste mais bien sur le résultat de cette ambition.
 
- Peut-on dire de Carnacki, le détective du surnaturel de Hodgson, qu’il est un successeur de Holmes en ce sens qu’il utilise ses facultés de perception et de déduction pour résoudre les énigmes ?
 
- Tout à fait, il fait partie de cette longue lignée de fins limiers, débutant par Dupin créé par Edgar Poe et se poursuivant par Sherlock Holmes et autre John Silence. C’est, d’ailleurs, pour surfer sur la réussite commerciale de ces deux derniers enquêteurs que Hodgson inventa son propre détective. Il ne rencontra malheureusement pas le même succès que Conan Doyle et Algernon Blackwood. Il faut dire qu’en dépit de la modernité des méthodes d’investigation de son héros (appareils électriques, magnétiques etc), le personnage créé par Hodgson manque cruellement de chair et de vie, ainsi que d’un charisme susceptible de donner au lecteur l’irrésistible envie de le retrouver d’une aventure à l’autre, comme cela doit être pour les personnages de série. Par ailleurs, en dehors du très talentueux conte Le Verrat, baignant dans une atmosphère d’épouvante assez exceptionnelle, les histoires de Carnacki me semblent plutôt faibles au regard des autres fictions de l’écrivain. Mais, Carnacki a ses lecteurs, ses continuateurs (des écrivains qui le mettent en scène bien après le décès de son créateur original), un site internet (anglais) et même un jeu de rôle ! N’en dégoûtons donc pas les autres !
 



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